Ni schismatiques, ni excommuniés
Article du « Courrier de Rome » N° 285 - Septembre 1988
Catholiques écartelés
Il semble que, depuis Vatican II, le catholique doive être constamment placé dans la nécessité d'avoir à choisir entre vérité et « obéissance », autant dire entre être hérétique ou être schismatique.
Ainsi, pour nous limiter à quelques exemples, il lui a fallu opter entre l'encyclique Pascendi de saint Pie X condamnant le modernisme « collecteur de toutes les hérésies » et l'actuelle orientation ecclésiale, ouvertement moderniste, qui, par l'organe du Saint-Siège, ne cesse de faire la louange du modernisme et des modernistes (1) et de dénigrer saint Pie X, dont l'encyclique fut, à l'occasion de son 70e anniversaire, définie comme « un dévoilement... sans respect, du point de vue historique » (2).
Il a dû choisir entre le Monitum du Saint-Office de 1962, condamnant les œuvres du jésuite Teilhard de Chardin en ce qu'elles « fourmillent de telles ambiguïtés et même d'erreurs si graves qu'elles offensent la doctrine catholique » et l'actuel courant ecclésial qui n'hésite pas à citer ces œuvres, jusque dans les discours pontificaux, et qui, lors du centenaire de la naissance du jésuite « apostat » (R. Valnève), en a, par une Lettre du cardinal Casaroli, Secrétaire d'État de Sa Sainteté, exalté la « richesse de pensée » et l'« inégalable ferveur religieuse » (3), suscitant ainsi la réaction d'un groupe de cardinaux (4).
Il a dû opter entre l'invalidité déjà définie des ordinations anglicanes (5) et l'actuelle orientation ecclésiale, en vertu de laquelle, en 1982, un Pontifie Romain a, pour la première fois, participé à un rite anglican, dans la cathédrale de Cantorbéry, bénissant la foule avec le Primat laïc de cette secte hérétique et schismatique, Primat qui, dans l'allocution de bienvenue, avait revendiqué pour lui-même et sans être contredit, le titre de successeur de saint Augustin (6), le catholique évangélisateur de l'Angleterre catholique (7).
Il a dû opter entre la condamnation ex cathedra (8) de Martin Luther et l'actuel courant ecclésial qui, « célébrant » le 5e centenaire de la naissance de l'hérésiarque allemand, déclarait par Lettre signée de S.S. Jean-Paul II qu'aujourd'hui, grâce aux « recherches communes de savants catholiques et protestants... est apparue la profonde religiosité de Luther » (9).
Il a dû choisir entre l'historicité des Évangiles, que « la Sainte Mère Église, de façon ferme et absolument constante, a affirmée et affirme... et atteste sans hésiter » (10) et l'actuelle orientation ecclésiale qui nie avec éclat cette historicité dans le document publié le 24 juin 1985 par la Commission Pontificale pour les rapports religieux avec le Judaïsme (11).
Il a dû opter entre la Sainte Écriture qui déclare les Juifs incrédules « en haine à Dieu » selon l'Évangile, et l'actuelle orientation ecclésiale qui, dans le discours du premier Pape à se rendre dans la synagogue de Rome, découvre dans les Juifs toujours incrédules les « frères aînés » des catholiques ignares (12).
Il a dû choisir entre le premier commandement : « Tu n'auras d'autre Dieu que Moi », assorti du devoir qui, depuis la Rédemption, oblige tous les hommes à rendre à Dieu le culte dû « en esprit et en vérité » et l'actuelle orientation ecclésiale en vertu de laquelle, sur invitation d'un Pontife Romain, furent pratiquées dans les églises catholiques d'Assise toutes les formes, même les plus graves, de superstition : du faux culte des Juifs qui, dans l'ère de la grâce, prétendent honorer Dieu en niant Son Christ, à l'idolâtrie des bouddhistes adorant leur vivante idole assise, le dos au Tabernacle où la lampe allumée attestait la Présence Réelle de Notre Seigneur Jésus-Christ (13).
Il a dû opter entre le dogme catholique « Hors de l'Église, point de salut » et l'actuelle orientation ecclésiale qui voit dans les religions non chrétiennes des « voies d'accès à Dieu » et déclare « vénérables elles aussi » même les religions... polythéistes ! (14)
Il a dû opter entre l'enseignement constant de l'Église selon lequel hérétiques et/ou schismatiques sont « hors de l'Église catholique » (15) et l'actuelle orientation ecclésiale selon laquelle, entre les « diverses confessions chrétiennes », n'existe qu'une différence de... « profondeur » et de « plénitude de communion » (16) et pour laquelle, en conséquence, les diverses sectes hérétiques et/ou schismatiques doivent être « respectées » « en tant qu'Églises et communautés Écclésiales » (17).
Arrêtons-nous là, tant il serait impossible matériellement d'énumérer tous les choix qui se sont imposés et s'imposent à tout bout de champ au catholique. Notre périodique les signale depuis quatorze ans et Romano Amerio en a fait la somme non exhaustive dans les 636 pages de son Iota Unum, étude des variations de l'Église catholique au xxe siècle (18).
Le choix du « sensus fidei »
Dans le conflit apparu entre « obéissance » et vérité, les catholiques mieux informés ont choisi la vérité, certains, dans leur sensus fidei, que seule la vérité assure l'union avec le Chef invisible de l'Église qui est le Christ. Étiquetés, de ce fait, comme « traditionalistes » et réputés incapables de distinguer entre Tradition divine et traditions humaines, entre ce qui, dans la tradition de l'Église, est sujet à changement et ce qui est irréformable, entre évolution homogène et évolution hétérogène du dogme ; taxés comme désobéissants et aujourd'hui en outre comme excommuniés et schismatiques, ils sentent bien que ceci ne correspond à aucune réalité. Ils sont conscients de n'être pas schismatiques c'est-à-dire des « VOLENTES PER SE ECCLESIAM CONSTITUERE SINGULAREM (19). » : ils n'ont en effet aucun désir de constituer une Église pour eux-mêmes ; ils ne résistent au contraire à l'actuelle orientation ecclésiale que pour rester dans l'unique Église du Christ. Aucun d'eux ne « se refuse d'agir comme partie d'un tout » ni ne veut « penser, prier, se comporter, vivre en somme, non dans l'Église et selon l'Église, mais comme un être autonome qui fixe lui-même la loi de sa pensée, de sa prière, de son action » (20) ; c'est justement, au contraire, pour ne point cesser de penser, de prier, d'agir « dans l'Église et selon l'Église » qu'ils résistent au nouveau courant ecclésial, dans la mesure où celui-ci tente de les éloigner, dans la doctrine ou dans la pratique, de la Foi gardée et transmise par l'Église.
Ils ne refusent pas davantage de subesse capiti, d'être soumis au Chef de l'Église, ce qui serait une autre manière d'être schismatique (21) ; c'est pour rester, au contraire, soumis au Chef invisible de l'Église qu'ils résistent à l'actuelle orientation (permise, favorisée ou voulue par le Pape, peu importe), désirant, sans désemparer et en dépit de désillusions réitérées, que l'union avec l'actuelle hiérarchie et surtout avec le Vicaire du Christ se rétablisse au plus tôt, sans avoir pour autant à se plier à des compromis sur un seul point de doctrine.
(1) Cf. par exemple l'éloge répété de Gallarati Scotti, ami du jeune Montini, dans l'Osservatore Romano (ci-après OR) du 7.7.1976, du 14.1.1979, du 5.6.1981 etc.
(2) OR du 8.9.1977.
(3) OR du 10.6.1981.
(4) voir Si Si No No, VII' année, N° 15, p. 15.
(5) Léon XIII : Lettre apostolique Apostolicce curce du 13.9.1986.
(6) Saint Augustin de Cantorbéry, évêque envoyé par saint Grégoire le Grand pour évangéliser la Grande-Bretagne, débarqua sur la côte anglaise en 597, avec une quarantaine de missionnaires, établit son premier monastère à Cantorbéry et mourut le 26 mai 604.
(7) Voir Si Si No No, VIII' année, N° 20.
(8) Léon X : Bulle Exsurge Domine de 1520.
(9) OR du 6.11.1983.
(10) Vatican II : Constitution dogmatique Dei Verbum.
(11) OR des 24/25.6.1985.
(12) OR des 14/15.4.1986.
(13) Awenire du 20.10.1986. Le dalai-lama est considéré comme la réincarnation de Bouddha.
(14) OR du 17.9.1986 : Éléments pour une base théologique de la Journée Mondiale de Prière pour la Paix ; voir aussi Civiltà cattolica du 20 avril 1985 : Le christianisme et les religions non chrétiennes.
(15) Catéchisme de saint Pie, N° 24.
(16) OR du 17.9.1986.
(17) Salutation du Pape aux « chrétiens » dans la cathédrale de Saint Rufin à Assise : OR des 27/28.10.1986.
(18) L'édition italienne a paru chez Ricciardi à Milan-Naples et la traduction française aux Nouvelles Éditions Latines à Paris.
(19) Saint Thomas : in IV Sent., dist. XIII q. II a 1 ad 2.
(20) Cajetan, In Ha-Hœ q. 39, a. 1 N° 2.
(21) Saint Thomas, Ha-Hœ q. 39, a. 1.
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